Le vaste processus de modernisation des services de l’état civil de la Ville de Charleroi entrepris il y a quelques années a conduit à la création d’un service de support : le Bureau d’analyse de l’état civil. Sa vision et sa méthodologie ont été développées par mon directeur, Thierry Deckx. J’ai pour ma part contribué activement à sa mise en œuvre. Retour sur la genèse de ce projet.
Par Yoane De Coster
Responsable du Bureau d’analyse de l’état civil à Charleroi
La Ville de Charleroi, en raison de sa taille et de son nombre d’habitants, a fait le choix de dispatcher un maximum de tâches afin de « spécialiser » ses agents et mieux gérer le flux et les demandes des citoyens. Cette organisation présente des avantages, mais aussi de nombreux inconvénients. La gestion d’un tel département doit être régulièrement évaluée et ajustée, si nécessaire.
Le contexte initial : une réorganisation nécessaire
Lorsque ce processus de modernisation a été amorcé au sein de l’état civil, la situation était chaotique.
En 2017, deux ans avant la mise en application de la BAEC, les services de l’état civil étaient vieillissants à tous points de vue :
- Désorganisation complète : les rôles n’étaient pas officiellement définis pour tout le monde.
- Physiquement désorganisés : peu (voire pas) de cohérence dans l'implantation des services. Par exemple, le service de reconnaissance se trouvait dans le même bureau que le service nationalité, et le service de naissance était dans un autre local.
- Déplacements réguliers des agents dans d’autres services pour chercher des informations, laissant le citoyen dans l’attente – un manque de sérieux.
- Dossiers égarés : nous travaillions encore avec des dossiers papier, classés dans des racks à tiroirs. Ces fameux dossiers suspendus prenaient énormément de place, même jusque dans les couloirs. Les outils informatiques étaient peu utilisés pour la gestion des données.
- Impossibilité de donner un suivi à un dossier en l’absence de l’agent traitant : il arrivait fréquemment que le citoyen soit invité à revenir, dans l’attente du retour d’un collègue.
- Absence de support pour les agents : lorsque les responsables étaient indisponibles, les agents devaient se débrouiller seuls pour obtenir des informations sur la législation, ou bien mettre une demande en suspens le temps de trouver une solution, parfois pendant des semaines.
- Chasse gardée des compétences : les différents responsables de services (étrangers, population, état civil, DIP et services internes de populations) géraient chacun leur domaine sans véritable coopération. Des réunions avaient lieu régulièrement, mais, souvent, elles n’aboutissaient à aucun résultat.
- Pas de procédure définie pour la mise en application de la BAEC : le jour J, chacun jouait un peu aux apprentis sorciers. Plus d’un dossier sur deux posait des problèmes. Un agent a été auto-proclamé « support technique », mais il a rapidement été dépassé par les événements.
- Mobilier délabré : le mobilier n’était pas adapté au fonctionnement d’un véritable accueil du citoyen, et il y avait un manque d’organisation physique.
- Absence de gestion du personnel : les responsables étaient noyés sous les dossiers problématiques et les nouvelles législations, ce qui a créé un sentiment d’abandon chez les agents.
La solution proposée : le Business Process Reengineering (BPR)
La solution proposée par Thierry Deckx repose sur le Business Process Reengineering (BPR). Cet outil puissant permet d’améliorer les performances des services en optimisant les processus métiers. Il aide à identifier les points faibles, à repenser les processus pour les rendre plus efficaces, tout en améliorant la qualité des services, en réduisant les coûts et en améliorant la satisfaction des citoyens.
La méthode appliquée :
- Recueillir les données : nombre d’agents actifs, ressources disponibles, espaces disponibles, organigramme, matériel informatique, mobilier, besoins des citoyens, etc.
- Schématiser et structurer le projet.
- Mettre en place une gestion participative : il est essentiel d’écouter les suggestions des acteurs de terrain et d’en intégrer un maximum, ce qui facilite l’application d’une réforme organisationnelle.
La réorganisation : une transformation réussie
Cette réorganisation a été opérée en différentes étapes :
- Rassembler les services de manière cohérente.
- Opérer une distinction entre le Front office et le Back office.
- Informatiser les dossiers et les procédures : création d’un logiciel permettant la consultation et le suivi des dossiers d’état civil nécessitant une analyse.
- Créer une cellule juridique pour gérer le contentieux et définir clairement l’application de la nouvelle législation, en coordination avec le Bureau d’analyse.
- Créer un Bureau d’analyse (BA) : il sert d’intermédiaire entre le front et le back office. Toutes les demandes du front vers le back et toutes les informations du back vers le front transitent par le BA.
- Créer un pool de secrétaires : cela permet de décharger les agents spécialisés des tâches administratives (préparation et envoi de courriers, prises de rendez-vous, renseignements de base…).
- Simplifier les procédures DIP : les agents moins chargés des tâches administratives ont été formés aux bases du DIP, réduisant l’envoi systématique des actes étrangers en analyse.
- Organisation sur rendez-vous : nouvelle procédure avec prise de rendez-vous en ligne.
- Nouveau mobilier (plus ergonomique et homogène) et réaménagement des espaces de travail pour améliorer l’accueil du citoyen et motiver le personnel.
- Et prochainement : mise en place des procédures en ligne pour les déclarations de reconnaissance, mariage et cohabitations légales.
Un des points qui n’a pas encore été mis en application, mais qui est toujours en cours de réflexion, est la création d’un espace au sein du bureau d’analyse pour les agents du back office. Initialement appelée le « bureau Zen », l’idée consiste à permettre aux agents des guichets, souvent mis sous pressions par les citoyens, de sortir du quotidien une à deux demi-journées par semaine et de se consacrer à d’autres tâches (analyse de dossiers spécifiques, études/formations des nouveautés en matière législative, élaboration de procédures, …).
Presque 10 années plus tard (le Covid est passé par là…), le constat est unanime, tant pour les agents que les citoyens : les services de l’état civil fonctionnent enfin tels qu’ils le devraient, et ont gagné en crédibilité. Ce sont bien des services aux citoyens. Cela se ressent principalement dans les relations en interne. Cette méthode se poursuit, notamment, par la mise en place de réunions mensuelles avec la direction et par service.
Le rôle essentiel du bureau d’analyse
En mai 2019, un mois après le lancement de la BAEC, la situation était chaotique. Les services peinaient à établir une partie des actes dans les délais légaux en raison de nombreux blocages techniques et de la difficulté à appliquer de nouvelles procédures adaptées à la refonte du Code civil.
Ce constat était le même dans toutes les communes de Belgique, mais au vu du nombre d’actes à établir (Charleroi compte trois grandes implantations hospitalières), nous étions clairement dépassés.
Pour ma part, j’ai rejoint l’état civil après une longue absence. Mon directeur m’a proposé de mettre en place une cellule qui absorberait tous ces problèmes afin de proposer des solutions. Cela permettrait aux agents des guichets de se décharger de cette pression supplémentaire et de rassembler le tout en un seul et même lieu. J’ai accepté sans réellement prendre conscience de la situation, mais j’aime relever les défis.
Je me suis retrouvé dans un très grand bureau, seul, avec des piles de dossiers (on en était encore à ce stade) : quantité d’actes non intégrés et d’erreurs matérielles… Je ne pouvais pas traiter dossier par dossier sans mener une véritable réflexion sur l’après-régularisation de ces cas spécifiques.
A l’époque, nous découvrions tous que les petites et grosses erreurs commises dans les actes papiers, dématérialisés dans la BAEC, engendraient de nombreux blocages pour l’intégration des actes et qu’il existait également de nombreuses discordances entre les données du RN et celles reprises dans les actes. Il fallait absolument remettre de l’ordre dans tout ça. J’ai rapidement été rejoint par deux collègues qui se sont consacrées uniquement à la révision des anciens actes (migration).
Il faut préciser qu’au vu de la quantité d’anciens actes qui devaient être migrés dans la BAEC, Charleroi avait opté pour une migration en masse et que les métadonnées étaient extirpées du Registre national. De très (très !) nombreux actes comportent donc des discordances entre les données reprises dans la copie et dans l’extrait. Aujourd’hui encore, deux collègues poursuivent quotidiennement ce travail de révision. Et c’est loin d’être terminé.
Mon quotidien, au début de l’aventure, consistait à interpeller les supports de l’helpdesk de la BAEC et du développeur de notre interface BAEC pour débloquer toutes ces situations. J’ai par ailleurs décidé d’établir des fiches de procédure pour les cas les plus récurrents. Preuve était faite que ce service, qui n’existait pas encore réellement, avait un rôle à jouer dans la nouvelle mouture de l’état civil. Nous l’avons donc créé pour qu’il serve initialement de support technique, mais il est vite devenu essentiel pour d’autres missions. C’est à ce moment-là que j’ai été rejoint par un quatrième collègue, spécialisé dans les matières relatives au séjour des ressortissants étrangers.
Les résolutions techniques étant de plus en plus et de mieux en mieux assimilées par l’ensemble des agents, grâce à la création des fiches de procédure, nous avons pu nous consacrer à d’autres problématiques, et notamment aux flux des données entre les différents acteurs du département. Nous avons donc développé, avec l’aide de notre service informatique, une plateforme informatisée dans laquelle tous les dossiers nécessitant une analyse ou un suivi contentieux seraient scannés. De la sorte, tous les intervenants pourraient suivre l’évolution d’un dossier.
Concrètement
Un agent rencontre un problème avec un dossier citoyen. Par exemple :
- Quel nom peut porter un enfant ?
- Est-ce que l’acte ou la décision étrangère qui m’est soumis(e) est valable en droit belge ?
- Je n’arrive pas à intégrer l’acte dans la BAEC (blocage),
- Je suis interpellé par un avocat et je doute de ma réponse,
- J’ai commis une erreur dans la date de naissance de l’enfant,
- …
La procédure
- Création d’un dossier par l’agent du guichet sur base du numéro national (30 secondes)
- Ajout d’un commentaire : question et remarques éventuelles (max 1 minute)
- Ajout des pièces annexes et nécessaires à l’analyse (30 secondes)
- Transmis au BA
- Nous analysons si cela peut être réglé à notre niveau : si ok réponse immédiate à l’agent
- Si cela nécessite une analyse, transmission au service back office compétent (juriste + DIP)
- Réponse du back office au BA qui transmet la solution, avec un appui si nécessaire, aux agents du front office
Tout transite désormais par le bureau d’analyse (canal unique). C’est une facilité pour tous les intervenants. Les agents ne doivent plus se préoccuper de savoir qui fait quoi. Nous sommes donc garants du bon suivi de chaque demande et du respect des délais.
Le contraste est saisissant si l’on compare cette procédure avec l’ancienne manière de faire.
Auparavant, les agents qui rencontraient une difficulté (plusieurs fois dans une journée), allaient physiquement et systématiquement exposer la situation à leurs responsables. Laissant le citoyen en plan. Le responsable, s’il était disponible, devait alors mener une réflexion ou effectuer des recherches pour répondre à son agent. Ce qui l’amenait à mettre en suspens les tâches en cours et à devoir répondre dans la précipitation (= source inévitable d’erreur) ou à mettre l’interpellation en attente. Les dossiers s’accumulaient sur le bureau du responsable. Bien souvent, le citoyen repartait sans réponse. Imaginez que le responsable en question ne soit pas présent le jour où le citoyen se représente… La fameuse phrase « je prends vos coordonnées et je demande à mon responsable (ou mon collègue) de vous rappeler dès que possible » était quotidienne. Sans compter les pertes de dossiers et d’informations. Une source supplémentaire de stress pour les agents.
Cette méthode de travail, pur stéréotype d’une administration publique, est heureusement derrière nous. Grâce au dispatcher, tout est conservé, nous veillons au respect des délais et il n’y a qu’un seul interlocuteur pour tous les intervenants.
Au-delà de ces missions, nous jouons un rôle de filtre pour toute une série de demandes. En effet, nous prenons en charge des questions juridiques dites plus « basiques ». Nous avons acquis une maitrise de la législation au fil du temps, grâce à de nombreux outils (dont OrangeConnect J) et des liens qui se sont créés avec des experts dans d’autres institutions (communes, GAPEC, SPF,…).
Nous avons également permis de recréer des liens et des procédures simplifiées avec tous les autres services du département. Là encore, nous sommes les seuls interlocuteurs. Ce qui permet d’harmoniser les méthodes de travail. A noter que d’autres services du département (population, étrangers et services internes de population) ont accès en consultation à l’ensemble de nos données. Si un citoyen se présente à un guichet population (qui ne gère pas l’état civil) pour obtenir des informations sur l’avancée de son dossier, il peut obtenir des renseignements sans que l’agent doive trouver un interlocuteur particulier.
Les autres missions du BA
- La validation des dossiers qui sont soumis au DIP. Ces dossiers sont réceptionnés par les guichets population, mais sont généralement incomplets. Nous veillons donc faire en sorte que le dossier soit complet avant d’être transmis au service compétent.
- L’intégration des actes étrangers dans la BAEC. Cette tâche a considérablement pris de l’ampleur depuis la révision des articles 68 et 70 de l’ancien code civil au 1er janvier 2025.
- Les formations techniques des nouveaux agents et des anciens lorsqu’il s’agit de nouvelles procédures.
- L’élaboration de fiches de procédures.
Pour conclure, je suis très fier de ce service et du rôle central qu’il occupe aujourd’hui dans le bon fonctionnement de l’état civil à Charleroi. Et le sentiment le plus gratifiant, c’est que son efficacité est reconnue par l’ensemble de mes collègues.